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Être ou ne pas être Charlie : une expression idiomatique est née



Définition de l’expression « Je suis Charlie », à dater du 7 Janvier 2o15.

Comme pour toute expression idiomatique, la datation a son importance.

Ainsi, avant l’après-midi du 7 Janvier 2o15 (GMT+1), s’exclamer ou dactylographier « Je suis Charlie » était porteur de sens tout à fait distincts de celui que l’on cherche à véhiculer depuis que Joachim Roncin, directeur artistique et journaliste au magazine Stylist, l’a figé sous hashtag dans un Tweet.


Avant cela « Je suis Charlie » pouvait signifier : « Je me prénomme Charlie », « Mon prénom est Charles, mais je me sens des atomes crochus avec vous qui m’incitent à vous délivrer spontanément mon surnom en vue d’installer entre nous les fondements d’une relation de confiance et de complicité » ou encore « Je suis le Boss d’une agence d’espionnage recrutant des donzelles canon, athlétiques et calées, qui ne s’exprime que par boîte vocale interposée ».

On peut aller plus loin et ajouter « Cette petite fête était sympa, mais j’ai sifflé trop de Vodka et je crois qu’il vaut mieux que je prenne un taxi avant de vomir sur la moquette ou de danser la Macarena avec l’halogène. Tiens, il me semble que ce garçon là-bas, qui s’est présenté plus tôt en tant que ‘Charlie’ (ou était-ce Charles ? Qu’importe, je le trouve sympathique, appelons-le Charlie), est lui aussi sur le point de partir. N’étant pas convaincu que mon degré d’éthylisme me permette de trouver mon chemin aisément vers le rez-de-chaussée de cet immeuble, je crois que je vais me laisser guider par lui et exprimer cette résolution raisonnable à voix haute à l’adresse de qui voudra l’entendre ».



Le message était alors on ne peut plus clair et n’enflammait pas les poudres.

Mais il a fallu qu’une pincée de zinzins attaque la rédaction de Charlie Hebdo à la Kalachnikov pour qu’une phrase somme toute anodine devienne source de débats.

(ndla: Attention, en la qualifiant d’anodine, je ne cherche pas à égratigner l’égo des prénommés Charlie/Charles, ni à tourner en ridicule les procédés de communication interne des agences d’espionnage et encore moins à minimiser la sagesse et la présence d’esprit des alcooliques du samedi soir.)



Voici donc mon interprétation de ce qu'il me semble que l'on veuille dire lorsque l’on partage sur les réseaux sociaux ou fait imprimer sur un tee-shirt les mots « Je suis Charlie ».


Soyons réalistes, nous ne sommes pas vraiment Charlie Hebdo, aka Charlie. Mais je pense que nous en avons tous conscience ...(...? hein oui?)

Ceux qui travaillent pour Charlie Hebdo eux-mêmes ne sont pas Charlie.


A la rigueur, un procédé métonymique aurait pu autoriser la Rédaction, la Direction et les Services de Compta et d’Entretien de Charlie Hebdo à scander des « Je suis Charlie » un chouilla chauvins. Et encore, c’était avant ce 7 Janvier 2o15.

Si les institutions, entreprises, bâtiments et concepts avaient un ange gardien éponyme, ce dernier pourrait alors clamer des « Je suis Charlie », ou « Je suis MacDo, », « Je suis la Gare du Nord », etc... vous saisissez l’idée. La Marianne peut dire « Je suis la République Française » sans que cela nécessite de précisions et pour cause : elle est la République Française, elle a été inventée pour ça. Elle est un symbole.

Et c’est exactement ce que « Je suis Charlie » est devenu, en quelques minutes à peine, dans la plupart des bouches, sur la plupart des écrans, dans la plupart des coeurs.


« Je suis Charlie » s’est désolidarisé de l’entité Charlie Hebdo pour rejoindre la longue et savoureuse liste des expressions idiomatiques : « Peace and Love », « Ich bin ein Berliner », « Non mais Allô, quoi ».

Une expression appelée à être sérigraphiée sur des mugs et des sous-verres et qui, si la langue française n’est pas trop encline à l’enthousiasme qui retombe comme un soufflé et aux feux de paille linguistiques, trouvera peut-être des variantes dans les années à venir, dont voici quelques possibilités:


- « Je me sens tout Charlie » qui signifiera « Me voilà assailli par le subit désir de m’exprimer librement sur ce sujet mon cher ami. Je crois bien que je ne vais pas résister. Ecoute-moi, ne m’écoute pas, libre à toi, mais je ne puis me taire. Voilà, ça vient : … »

- « ...et à ce moment-là, elle s’est mise à faire sa Charlie » pour dire « Elle a encore ouvert son clapet alors que c’était pas franchement le lieu pour ça, je t’explique pas, j’avais envie de me cacher sous un meuble »

Ou encore

- « Keum, j’suis lichar, matte : rien à battre », se traduisant par « Me voilà assailli par le subit désir de m’exprimer librement sur ce sujet mon cher ami. Je crois bien que je ne vais pas résister. Ecoute-moi, ne m’écoute pas, libre à toi, mais je ne puis me taire. Voilà, ça vient : … », mais cette fois-ci en verlan.

Ainsi, pour être légitime dans votre utilisation de cette expression, il n’est pas nécessaire de pouvoir donner la preuve d’une lecture assidue de Charlie Hebdo depuis les premières publications de Hara-Kiri en 196o, il n’est pas requis d’être d’accord avec sa ligne éditoriale, pas obligatoire d’aimer ses caricatures ni sa prose, il n’est pas même indispensable d’avoir déjà tenu un Charlie Hebdo dans vos mains… Mais surtout, il est vivement contre-indiqué de garder vos désaccords pour vous.

Parce que c’est avant tout cela, depuis cet infâmeux 7 Janvier 2o15, qu’« Être Charlie » : affirmer son droit à l’expression, à la liberté de penser et à l’éventualité de devoir en finir par jouter verbalement ou plumistiquement avec les petits copains de récré qui ne sont pas du même avis que vous.

En somme, penser : c’est OK ; écrire : c’est OK ; dessiner : c’est OK aussi ; vous enguirlander de temps en temps avec les voisins de palier : oki-doki ; taper du poing sur la table : toujours OK (même si c’est potentiellement risqué pour votre poing).

Mais user de menaces, de procédés d’intimidation ou d’armes quelconques pour faire taire autrui, ce n’est plus du tout OK.

Et parce que la concision a ses charmes, grosso modo, « Je suis Charlie » = « Je soutiens la liberté d’expression et réprouve toute forme de terrorisme ».


Alors on garde #JeSuisCharlie, car il faut tout de même reconnaître que #JeSoutiensLaLibertéDExpressionEtRéprouveTouteFormeDeTerrorisme, c’est un peu long pour Twitter...








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